La theorie de l'abuse-abuseur en delinquance sexuelle: qui dit vrai?

AuthorPellerin, Bruno

Theorie de l'abuse-abuseur

Plusieurs etudes montrent qu'un nombre eleve de delinquants sexuels rapporte avoir ete victime d'abus sexuel au cours de leur enfance. De facon generale, les taux de victimisation sexuelle rapportes se situent entre 30 % et 60 % chez les agresseurs sexuels d'enfants (Hanson et Slater 1988; Romano et De Luca 1996; Seghorn, Prentky et Boucher 1987; Tingle, Barnard, Robbins, Newman et Hutchinson 1986) et autour de 25 % chez les agresseurs sexuels de femmes (Seghorn et al. 1987; Tingle et al. 1986), comparativement a des taux variant entre 10 et 17 % dans une population masculine non judiciarisee (Bagley, Wood et Young 1994; Hanson et Slater 1988; Romano et De Luca 1996; Crouch, Hanson, Saunders, Kilpatrick et Resnick 2000). La victimisation sexuelle serait donc un phenomene que l'on retrouverait plus frequemment chez les delinquants sexuels que chez les individus non criminalises. C'est d'ailleurs sur ce constat que repose l'hypothese du cycle de l'abus sexuel (Hanson 1991), que l'on appelle aussi > (Freund et Kuban 1994; Graham 1996) ou encore > (Worling 1995). Selon cette theorie populaire, la delinquance sexuelle s'explique en bonne partie par une victimisation sexuelle anterieure. Or, malgre que certaines etudes suggerent qu'il existe une relation entre le fait d'etre victime d'abus sexuel et la pedophilie chez les garcons (Bagley et al. 1994; Garland et Dougher 1990, Haywood, Kravitz, Wasyliw, Goldberg et Cavanaugh 1996; Lee, Jackson, Pattison et Ward 2002), le > semble peu fonde et ce, tant sur le plan clinique qu'empirique.

Premierement, la majorite des delinquants sexuels sont de sexe masculin alors que la majorite des victimes sont de sexe feminin (Hanson 1991; Hilton 1993). Deuxiemement, la majorite des garcons victimes d'abus sexuel ne deviennent pas delinquants sexuels (Porter 1986; Breer 1992, Dorais 1997). A cet effet, Widom et Ames (1994) ont realise une etude prospective dans laquelle ils n'ont observe que les garcons victimes d'abus sexuel et ceux ayant vecu d'autres types d'abus ne differaient pas quant au taux d'arrestation pour des delits sexuels. D'apres les resultats des etudes de Briggs et Hawkins (1996) et de Lambie, Seymour, Lee et Adams (2002), les garcons victimes d'abus sexuel qui deviennent delinquants sexuels seraient ceux ayant erotise l'abus sexuel vecu (associe a des affects positifs) et qui auraient eu peu de support social durant leur jeunesse. Troisiemement, la majorite des delinquants sexuels, meme chez les agresseurs sexuels d'enfants, ne rapportent pas d'abus sexuel durant leur enfance. En effet, meme dans les etudes de Groth (1979), la majorite des delinquants sexuels (69 % des pedophiles et 71 % des violeurs) ne rapportaient aucune forme de traumatisme sexuel (incluant la circoncision) au cours de leur jeunesse.

Certains auteurs suggerent que les delinquants sexuels qui rapportent avoir ete abuse sexuellement sont plus deviants que les autres; plus particulierement chez les agresseurs sexuels d'enfants (Hanson, 1991). L'etude de Freund et Kuban (1994) semble etre la seule dans laquelle des delinquants sexuels, victimes et non victimes, ont ete compares au niveau de leur profil d'excitation sexuel obtenu a l'evaluation phallometrique. Ces auteurs ont observe que la presence d'interets sexuels preferentiels pour les enfants (pedophilie fixee) etait le meilleur predicteur d'une victimisation sexuelle auto-revelee. Ceci suggere que les pedophiles qui affirment avoir ete victimes d'abus sexuel seraient les plus deviants. Neanmoins, soulignons que meme chez les pedophiles primaires (>), Groth (1979) observait un taux de victimisation sexuelle de seulement 46 % (vs 23 % chez les agresseurs sexuels d'enfants situationnels). En somme, meme chez les delinquants sexuels plus chroniques (recidivistes, pedophiles > et pedophiles homosexuels), les taux de victimisation sexuelle s'averent inferieurs a 50 % dans la plupart des ecrits consultes.

De plus, les resultats de certaines etudes remettent meme en question la veracite des allegations de victimisation chez les delinquants sexuels incarceres. St-Yves et Pellerin (1999) ont realise une etude afin de verifier si des traces de victimisation sexuelle etaient presentes dans le scenario delictuel des agresseurs sexuels qui rapportent avoir ete abuses sexuellement durant leur enfance. Les resultats de cette etude revelent qu'il n'y a aucune relation significative entre le contexte de victimisation sexuelle et le scenario des delits sexuels. Les auteurs ont aussi constate qu'il n'y avait pas de relation entre le sexe de l'agresseur des sujets et le sexe de leur victime. En fait, 85,7 % des sujets rapportaient avoir ete agresses sexuellement par une personne de sexe maseulin et 83,3 % avaient agresse sexuellement une personne de sexe feminin. La seule relation significative fut observee au niveau de l'age de la victimisation sexuelle et l'age des victimes. Les sujets qui rapportaient avoir ete abuses uniquement avant l'age de 12 ans avaient plus souvent une victime d'age prepubere, ce qui laisse croire que la victimisation sexuelle a plus d'influenee sur la selection de l'age des victimes que sur le choix du sexe de celles-ci. Il est interessant de noter qu'une relation significative a ete observee entre le nombre d'abuseurs rapportes par les sujets et le nombre de victimes qu'ils avaient fait. Ceux qui rapportaient avoir ete abuses sexuellement par plus d'un individu avaient un nombre plus eleve de victimes. Une telle observation appuie l'hypothese d'une survictimisation, voire d'une pseudo-victimisation, chez les delinquants sexuels incarceres, tel que suggere par plusieurs auteurs (Dhawan et Marshall 1996; Hanson et Slater 1988; Hilton 1993; Langevin, Wright et Handy 1989). A cet egard, les resultats de l'etude de Hindman (1988) sont assez troublants. Celle-ci a observe que le taux de victimisation sexuelle rapporte etait de 67 % pour le groupe controle de pedophiles. Or ce taux chutait a 29 % chez le groupe de pedophiles qui avaient ete informes qu'ils auraient a se soumettre au test du polygraphe.

Les bases de la theorie de l'abuse-abuseur en delinquance sexuelle sont donc loin d'etre solides, plus particulierement chez les agresseurs heterosexuels et chez les agresseurs dits situationnels; il s'avere que ces types de delinquants sexuels representent la majorite des delinquants sexuels incarceres (St-Yves, Brien, Guay, Granger, McKibben, Ouimet, Pellerin, Perreault et Proulx 1999). Malgre tout, peu d'auteurs ont jusqu'a present remis en question cette theorie (Hanson 1991; Hanson et Slater 1988; Hilton 1993; Langevin et al. 1989; Lambie et al. 2002).

Afin de clarifier davantage le role de la victimisation sexuelle dans le developpement de la delinquance sexuelle, Hanson (1991) souligne l'importance d'etudier en quoi different les delinquants sexuels victimes et non victimes. Seulement deux etudes se sont pretees a l'exercice empirique. Une premiere etude fut realisee par Seghorn et al. (1987) aupres de 97 violeurs et 54 pedophiles incarceres, la majorite etant des recidivistes. Les resultats obtenus indiquent, chez les pedophiles comme chez les violeurs, que les sujets qui rapportent avoir ete abuses sexuellement sont plus enclins a etre issu d'un milieu familial perturbe (negligence parentale, temoins d'actes sexuels deviants, parents avec antecedents psychiatriques, criminels et problemes de toxicomanie).

Une deuxieme etude fut realisee par Langevin et al. (1989) aupres de 408 delinquants sexuels incarceres. Les resultats obtenus indiquent que les sujets abuses sexuellement etaient moins scolarises, qu'ils avaient davantage ete victimes de violence psychologique par leur pere, qu'ils avaient ete plus exposes a des parents criminalises et alcooliques, qu'ils avaient eu plus d'experiences sexuelles avec des...

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