Quelques elements de comprehension des liberations d'office reussies.

AuthorVacheret, Marion

La liberation d'office dans le contexte de la liberte conditionnelle

Depuis la deuxieme moitie du 19eme siecle, au Canada, le retour en societe des personnes condamnees a une peine d'incarceration s'organise autour d'une remise en liberte progressive, conditionnelle, concue autour de l'idee selon laquelle, pour une meilleure reinsertion sociale, le contrevenant doit vivre une periode de transition entre la vie en milieu carceral et la vie en collectivite (Lemire 1996; Lemire 2000).

A l'heure actuelle, le regime mis en place par le Service correctionnel du Canada repose sur un modele de > dite de > (Feeley et Simon 1992; Feeley et Simon 1994; Simon et Feeley 1995) Cherchant a controler certains contrevenants consideres comme presentant un risque eleve, l'accent est ainsi mis sur la rationalite des decisions a travers un modele de planification strategique et d'evaluation du risque de recidive des delinquants. Par consequent, l'objectif de protection de la collectivite pese lourd dans le processus decisionnel conduisant a l'octroi ou au refus de la liberation conditionnelle (Vacheret, Dozois et Lemire 1998). Une politique dualiste (Bottoms 1977; Landreville 2001; Robert 1994) marque ce modele, faisant en sorte que certains contrevenants beneficient d'un regime de liberation tres rapide, notamment a travers la procedure de l'examen expeditif alors que d'autres, consideres comme des contrevenants >, voient leur duree d'incarceration s'allonger. La liberation conditionnelle devient alors un privilege utilise pour la gestion du risque (Robert 2001).

La recidive en question

Le principe sur lequel se fonde cette nouvelle facon de concevoir les liberations conditionnelles consiste a predire le comportement futur du contrevenant, de facon a determiner si ce dernier presente un risque de recidive et, plus specifiquement, un risque de recidive violente. Il s'agit de tenter, autant que faire ce peut, de prevenir la survenance d'actes delictueux en neutralisant certains contrevenants (Loeber et Stouthamer-Loeber, 1986; Gottfredson et Tonry 1987).

La possibilite de predire la recidive reste toutefois une question non encore resolue. Si certains auteurs (Hann et Harman 1992; Quinsey et Walter 1992; Quinsey 1995; Clements 1996) considerent que les progres actuels permettent de faire des predictions relativement fiables, cellesci n'en presentent pas moins de nombreuses limites. En plus des questions associees a la definition meme de ce que l'on cherche a predire (Landreville 1992) ou encore des questions ethiques liees a la prediction elle-meme (Landreville et Laberge 1991), le risque d'erreur, quantitativement important, reste toujours present. En consequence, privilegiant la protection de la collectivite, la tendance actuelle serait de > les individus pouvant presenter des risques eleves et a ne les liberer si le moindre doute subsiste (Dozois, Lemire et Vacheret 1996). Ce faisant, nombreuses personnes ne beneficient pas d'une liberation anticipee alors qu'elles arrivent, une fois dehors, a reintegrer la collectivite sans jamais recidiver. Et il ne s'agirait pas de cas d'exception. A partir du suivi sur une periode de dix ans d'une cohorte de contrevenants liberes d'office, Lemire (1996) montre non seulement que 57 % completent leur liberte d'office avec succes mais, plus encore, que pres de 40 % ne se retrouvent pas dans le reseau carceral federal dix ans plus tard. Pourtant, certaines etudes, plus recentes, semblent demontrer une tendance vers un octroi de plus en plus limite de la liberation conditionnelle au profit de la liberation d'office (Lemire 1996).

Dans les faits, la majorite de personnes detenues dans les penitenciers canadiens et considerees comme presentant un > ne sont liberees qu'au 2/3 de leur sentence (Lemire 1996). Cette clientele est, encore aujourd'hui, peu connue. Face a celle-ci plusieurs questions restent en suspend, tenant tant aux motifs a partir desquels ces personnes ont ete reconnues comme presentant un risque eleve, qu'aux facteurs de reussite de plusieurs d'entre elles en depit meme des evaluations negatives qui en ont ete faites.

Face a ces interrogations, deux approches, l'une quantitative et l'autre qualitative, ont ete privilegiees dans le cadre d'une seule etude menee par les auteures. La premiere avait pour but de comparer le profil sociopenal des detenus ayant obtenus une liberation conditionnelle totale a ceux liberes d'office qui echouent leur liberation et ceux liberes d'office qui reussissent leur liberation, afin de cerner ce qui les distinguent, sur une base statistique. La seconde, s'adressant uniquement a un echantillon de detenus ayant reussi leur liberte d'office et visait a saisir les motifs invoques par les liberes d'office pour expliquer, du point de vue de ces derniers, tant le refus de la Commission nationale des liberations conditionnelle de leur accorder une liberation anticipee que la reussite de leur reintegration sociale.

Une cueillette de donnees quantitatives

La partie quantitative de l'etude repose sur les donnees du Systeme de gestion des detenus (SGD) utilise par le Service correctionnel du Canada pour gerer l'information relative aux contrevenants incarceres sous mandat federal. Le SGD contient des informations sur de nombreuses caracteristiques concernant les contrevenants, leur comportement criminel ainsi que la gestion de leur peine d'incarceration. La cueillette a traite les donnees correspondant aux personnes ayant obtenu, entre le 1er janvier 1999 et le 31 decembre 1999, une premiere remise en liberte sous la forme d'une liberation conditionnelle totale ou d'une liberation d'office. La banque de donnees contient des informations concemant differents sous-groupes (autochtone et non-autochtones; hommes et femmes) distingues dans le rapport de recherche de Cousineau, Lemire, Vacheret et Dubois 2001, mais dont il ne sera pas tenu compte dans le cadre du present article. Les analyses presentees ici distinguent plutot entre trois types d'elargissement s'appliquant aux contrevenants de sexe masculin d'origine non-autochtone a savoir: 1) ceux a qui on a octroye une liberation conditionnelle totale (n = 157); 2) ceux qui ont complete avec succes la liberation d'office (n = 133); et 3) ceux qui ont vu celle-ci revoquee (n = 280) (aussi connu sous le vocable >).

Differentes situations sont susceptibles de surgir tant dans le cours d'une liberation conditionnelle totale que dans le cours d'une liberation d'office : revocation, suspension, deces, succes. Le tableau 1 fait etat des differents statuts des personnes detenues de notre echantillon (2) au moment ou se tient l'etude. On y constate que 36,0 % des contrevenants en liberation d'office (LO) voient leur remise en liberte revoquee comparativement a 7,6 % des contrevenants qui beneficient d'une liberation conditionnelle totale (LCT). De meme, une proportion plus grande des contrevenants en LO (8,4 %) voient celle-ci suspendue comparativement a ceux en LCT (3,8 %).

Au moment de proceder aux analyses, 45,2 % des detenus beneficiant d'une LCT se trouvaient encore sous surveillance, ce qui etait aussi le cas de 32, 3 % des detenus en LO. Pour tous, l'issue de la periode de liberte n'est donc pas connue.

Dans le cadre des analyses qui suivent, seules les liberations ayant ete revoquees sont assimilees a un echec, etant donne l'impossibilite de connaitre l'issue de la suspension. Pour les memes raisons, seules les liberations completees sont considerees comme etant des > Ainsi, 570 des 934 (61,0 %) cas de LO et de LCT identifies au prealable, soit ceux pour lesquels l'issue de la liberation ne pose aucun probleme d'interpretation, sont inclus dans la presentation des resultats qui suit. Ce choix repond au souci d'etre le plus strict possible dans les analyses.

Une cueillette de donnees qualitatives

Parallelement, voulant saisir le point de vue des liberes eux-memes, les chercheures ont tente de rencontrer soit des personnes pres de completer avec succes leur periode de surveillance en liberation d'office, soit des personnes ayant satisfait aux normes minimales de fonctionnement de facon a ne pas avoir vu leur liberation suspendue ou revoquee. La periode de surveillance devait avoir ete au minimum de neuf mois avec une preference pour des personnes pour lesquelles cette periode s'etait etendue a au moins une annee. Cherchant donc a saisir la situation des personnes liberees d'office ayant reussi a se reinserer socialement (afin de comprendre les facteurs concourant a cette reussite), 39 entrevues semi-dirigees (3) s'adressant a trois femmes et 36 hommes provenant du Quebec, de l'Ontario, et des Prairies, ont ete menees par differents intervieweurs selon les regions. Comme il s'agit ici d'etablir le pendant des analyses quantitatives, au regard des analyses qualitatives, seules les entrevues d'hommes non-autochtones sont prises en compte.

Au cours des entrevues, les interviewes etaient amenes a parler librement de leur vecu et de leurs experiences durant leur incarceration et une fois liberes. Ce modele de rencontre, soit de questions ouvertes sur lesquelles les repondants etaient invites a elaborer comme ils le souhaitaient, les a conduits a explorer, d'eux-memes et dans leurs propres termes, leurs preoccupations, qu'il s'agisse de la facon dont ils percevaient leur situation personnelle, leurs attentes et difficultes vecues a leur sortie ou encore de la facon dont ils voyaient et avaient vecu leur periode d'emprisonnement. En depit de l'heterogeneite et de la diminution de l'echantillon, les propos de l'ensemble des interviewes se sont reveles rapidement redondants, nous amenant a conclure a la saturation tant empirique, s'agissant des propos tenus, que theorique, s'agissant de l'emergence d'explications sur les facteurs de reussite en liberation d'office, des donnees. Ce type de methodologie permet la liberte d'expression et fait en sorte que de nouvelles dimensions apparaissent, venant completer les...

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