Les effets du gel d'une caisse de retraite sur la performance et le risque des entreprises
Date | 01 September 2017 |
Author | Frank Coggins,Stéphane Chrétien,Claudia Champagne |
DOI | http://doi.org/10.1002/cjas.1339 |
Published date | 01 September 2017 |
Les effets du gel d’une caisse de retraite sur la
performance et le risque des entreprises
†
Claudia Champagne
Université de Sherbrooke et GReFA
Stéphane Chrétien
Université Laval, CIRPÉE, GReFA, et LABIFUL
Frank Coggins*
Université de Sherbrooke, CIRPÉE, et GReFA
Abstract
This study considers the effect of freezing defined benefit
pension funds on shareholder risk and returns. The
conditional models used in this study directly assess the
effects of a pension fund freeze on returns and on systematic
and residual risk. While pension fund freezes do not signifi-
cantly affect performance or systematic risk, they do signif-
icantly reduce short-term residual risk. Pension fund
freezes therefore do not generally present significant finan-
cial advantages to shareholders. Only shareholders of
funds in crisis would benefit from significant systematic
risk reductions. Copyright © 2015 ASAC. Published by John
Wiley & Sons, Ltd.
Keywords: pension funds, conditional models, pension
fund freezes, defined benefit pension funds
Résumé
Cette étude vérifie les effets du gel des caisses de retraite à
prestations déterminées d’une entreprise sur la performance
et les mesures de risque de ses actionnaires. Notre étude
événementielle s’appuie sur des modèles conditionnels qui
permettent de mesurer directement les effets du gel sur la per-
formance et les mesures de risque systématique et résiduel.
Nos résultats montrent que le gel n’affectepas significativement
la performance ou le risque systématique des entreprises, mais
diminue significativement leur risque résiduel à court terme.
Par conséquent, le gel d’unecaissederetraiten’engendre
généralement pas pour ses actionnaires des avantages finan-
ciers notables. Seuls les actionnaires des entreprises dont la
caisse est en difficulté profitent d’une diminution significative
du risque systématique à la suite d’un gel. Copyright © 2015
ASAC. Published by John Wiley & Sons, Ltd.
Mots-clés : caisses de retraite, modèles conditionnels, gel
des caisses de retraite, caisse de retraite à prestations
déterminées
En 2011, les actifs des caisses de retraite américaines
représentaient 11 600 milliards de dollars soit 74,5% du
produit intérieur brut (PIB) américain alors qu’au Canada
ceux-ci valaient 1 200 milliards de dollars américains, soit
67,3 % du PIB canadien (OCDE, 2013). Les caisses de
retraite constituent d’ailleurs une portion importante de
l’investissement institutionnel et forment ainsi, en
complément aux régimes d’aide sociale et à l’épargne
personnelle, une part importante des revenus de retraite
anticipés par la population d’Amérique du Nord. C’est dans
cette optique que les enjeux de la retraite intéressent les plus
hautes instances politique et économique au Canada, comme
en témoigne la première édition de la Conférence
Internationale de Montréal sur la Retraite (CIMR), dans le
Les auteurs remercient Jean Desrochers, Marc-André Lapointe et Jacques
Préfontaine ainsi que les participants au congrès de la World Business,Econom-
ics and Finance Conference (WBEF 2011), au colloque Finance appliquée en
contexte socialement responsable (ACFAS 2011) et au congrès de l’Association
des sciences administratives canadiennes (ASAC 2012) pour leurs
commentaires constructifs. Nous tenons aussi à remercier Magali Point pour
son excellent assistanat en recherche. Cette étude a bénéficié du support finan-
cier de l’Institut de finance mathématique de Montréal (Claudia Champagne et
Frank Coggins), de la Chaire en gestion du développement durable (Frank
Coggins), de la Chaire de recherche en intégrité financière CIBC (Claudia
Champagne et Frank Coggins) et de la Chaire Groupe Investors en planification
financière (Stéphane Chrétien). Frank Coggins remercie le Département de fi-
nance, assurance et immobilier de l’Université Laval et le Département de fi-
nance de l’Université Paris 1 –Panthéon Sorbonne où une partie des travaux
a été réalisée alors qu’il y était professeur invité.
*Please address correspondence to: Frank Coggins, Département de finance,
Faculté d’Administration, Université de Sherbrooke, CIRPÉE et GReFA,
2500 boul. de l’Université Sherbrooke, Québec, J1K 2R1 Canada. Email:
frank.coggins@usherbrooke.ca
†
This paper was reviewed and accepted in its original French and translated
upon acceptance. Both the English and French versions are available online
at http://onlinelibrary.wiley.com/journal/10.1002/(ISSN)1936-4490.
Canadian Journal of Administrative Sciences
Revue canadienne des sciences de l’administration
34:o1–o16 (2017)
Published online 24 September 2015 in Wiley Online Library (wileyonlinelibrary.com) DOI: 10.1002/CJAS.1339
Can J Adm Sci
34(3), o1–o16 (2017)Copyright © 2015 ASAC. Published by John Wiley & Sons, Ltd. o1
cadre du Forum Économique International des Amériques,
qui se tenait en juin 2013 et qui traitait notamment des
caisses de retraite à contributions et à prestations
déterminées.
On distingue en effet principalement deux types de caisse
de retraite. Il y a le régime à prestations déterminées (PD) qui
prévoit une rente fixée à l’avance et versée jusqu’au décès et
le régime à cotisations déterminées (CD) dont l’allocation de
retraite varie selon les aléas des marchés financiers et les obliga-
tions du régime. Par conséquent, l’incertitude quant à la valeur
desrentesd’une caisse de retraite CD est totalement assumée
par les employés, alors qu’elle est en partie supportée par
l’employeur dans le cas des caisses PD. Or, dans le cas d’une
caisse PD déficitaire, ce sont tant l’employeur que les employés
qui devront bonifier leurs contributions afind’atteindre les
prestations attendues.
Ces dernières années, on a observé de la part des entreprises
du secteur privé une tendance à geler leurs contributions aux
caisses PD en privilégiant plutôt les caisses CD (McFarland &
Kummernuss, 2010; OCDE, 2009, 2013). Les arguments
généralement invoqués pour expliquer cette tendance sont que
les gels des caisses PD permettent aux entreprises d’être plus
compétitives et moins risquées financièrement.
Or, l’objectif de notre étude consiste à analyser les réac-
tions des marchés boursiers suite à ces gels en vérifiant
explicitement leurs incidences à la fois sur la performance et
les risques financiers des actions des entreprises cotées à la
bourse. À l’aide d’analyse de régression,notre étude applique
des mesures conditionnelles de performance et de risque qui
permettent d’évaluer simultanément et distinctement l’effet
du gel sur l’alpha conditionnel (Christopherson, Ferson, &
Glassman, 1998), sur le bêta conditionnel (Ferson & Schadt,
1996) (le risque systématique) et sur une variance conditionnelle
asymétrique GARCH (Glosten, Jagannathan & Runkle, 1993;
Engle & Ng, 1993) (le risque résiduel de l’entreprise). Puisque
ces effets peuvent varier selon le contexte de l’entreprise, de la
caisse de retraite et de l’économie, nous analysons aussi les dé-
terminants de ces performances financières anormales et de ces
variations dans les mesures de risque financières, soit les mesures
de risque systématique et résiduel. Nos résultats permettent ainsi
aux actionnaires d’entreprises intéressées par le gel des caisses
PD de mieux en comprendre les effets sur leurs investissements,
tant en termes de performance que de risques financiers.
Cette tendance à geler les caisses de retraite PD par les
entreprises n’est pas un phénomène nouveau, mais s’est
néanmoins récemment accentuée. Alors qu’en 1981, 60 %
des caisses de retraite aux États-Unis offraient des régimes
PD, en 2001, ce sont plutôt les plans CD qui représentaient
60 % des caisses de retraite (Munnell, Cahill, & Jivan, 2003).
Dans le même esprit, McFarland et Kummernuss (2010)
révèlent qu’en 2004, 7,1 % des 1000 plus grosses entreprises
américaines ont gelé les cotisations versées à leur caisse de
retraite PD alors qu’en 2009, ce chiffre atteignait 31 %.
En dépit de la diminution du nombre de caisses de retraite
PD, ce type de caisse demeure encore majoritaire dans un bon
nombre de pays incluant le Canada (Statistique Canada, 2013).
Puisqu’on observe sensiblement les mêmes facteurs d’affaires,
démographiques et financiers aux États-Unis qu’au Canada, on
peut s’attendre à ce que les entreprises canadiennes continuent
à geler leurs caisses PD au cours des prochaines années, si
elles les jugent notamment trop coûteuses ou trop risquées.
Même si nous analysons explicitement les conséquences
financières d’un gel du point de vue des actionnaires de
l’entreprise, différents facteurs peuvent expliquer le recours
aux gels des caisses de retraite PD.Tout d’abord, l’effet com-
biné des départs graduels à la retraite des baby-boomers, le
vieillissement et l’augmentation de l’espérance de la durée
de vie de la population augmente les sorties de fonds des
caisses de retraite tout en diminuant leurs entrées de fonds,
ce qui se traduit par une augmentation du risque de défaut
des entreprises qui sont associées à des caisses de retraite
PD. Ensuite, la possibilité pour l’entreprise de trouver une
main-d’œuvre qualifiée et peu coûteuse dans les économies
émergentes fait en sorte qu’il n’est pas nécessaire pour
l’entreprise d’offrir un régime PD pour demeurer compétitive
sur le marché de l’emploi. Enfin, la crise financièrea engendré
une perte de 24 % des actifs boursiers aux États-Unis et de
16,2 % au Canada en 2008 (OCDE, 2009), ce qui a diminué
la valeur des actifs détenus par les caisses. Simultanément,
on a aussi observé une baisse des taux d’intérêt, faisant aug-
menter systématiquement la valeur actuarielledes obligations
des caisses de retraite PD en Amérique du Nord. Dans un tel
contexte, il ne faut pas se surprendre si les ratios de
financement, qui se définisse par la valeur des actifs de la
caisse de retraite divisée par la valeur de ses passifs des
caisses de retraite aux États-Unis se sont détériorés, passant
d’un ratio moyen de 122 % (surplus actuariel) en 1999 à
seulement 75 % (déficit actuariel) en 2008 (OCDE, 2009).
Du point de vue de l’entreprise, il n’y a vraisemblablement
pas que des avantages associés au gel d’une caisse PD. D’une
part, le transfert du risque lié au montant des rentes de retraite
qui passe en partie de l’entrepriseaux employés peutse traduire
par des problèmes de rétention ou de recrutement des meilleurs
employés. D’autre part, l’entreprise quigèle un plan de retraite
PD risque aussi de signaler aux investisseurs des difficultés
financières à venir, suggérant qu’elle est peut-être plus risquée
qu’anticipée par les marchés financiers.
Par conséquent, l es effets d’un gel d’une caissede retraite
PD sur la performance et les risques boursiers de l’entreprise
demeurent encoreméconnus à ce jour. Étant donné le nombre
de gels des caisses de retraite PD observé aux États-Unis et le
fait que cette tendance pourrait s’accentuer au Canada, la
présente étude propose d’évaluer l’effet d’un gel des caisses
de retraite PD à la fois sur la performance, le risque
systématique et lerisque résiduel de l’entreprise. Si l’annonce
d’un gel d’une caisse de retraite affecte la performance
financière ou le risque systématique de l’entreprise, via la
mesure du bêta, elle affecte par conséquent les choix
d’investissement des actionnaires. Par contre, une annonce
de gel qui n’affecte que le risque résiduel de l’entreprise, bien
LES EFFETS DU GEL D’UNE CAISSE DE RETRAITE CHAMPAGNE ET AL.
Can J Adm Sci
34(3), o1–o16 (2017)Copyright © 2015 ASAC. Published by John Wiley & Sons, Ltd. o2
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