L'impact d'une perturbation sociale majeure sur les occasions criminelles et la frustration relative: une etude de cas.

AuthorLemieux, Frederic

Les comportements delinquants lors de catastrophe

Selon Lagadec (1991), le stress induit par l'impact d'un desastre peut predisposer l'individu a la paranoia, la suspicion, l'agressivite et l'hostilite. Ces attitudes psychologiques negatives se traduisent parfois dans le passage a l'acte de comportements antisociaux. Si ces comportements individuels s'agregent, la communaute sinistree doit faire face a de serieux problemes d'ordre et de securite publique. La reaction collective se traduit ainsi par de l'hysterie et de la panique. Ces dernieres sont caracterisees par une conduite irrationnelle contagieuse reliee a des decisions illogiques des acteurs (Johnson, Freinberg et Johnston 1994). La panique est souvent illustree par l'image d'une foule apeuree qui fuit un danger sans se soucier de l'endroit ou elle se dirige et sans se preoccuper des degats qu'elle produit sur son passage. Cette image est surtout associee a l'imminence de l'impact et a l'urgence de fuir son caractere douloureux, voir mortel. L'adoption de ces comportements par les sinistres suppose l'abandon de certaines normes sociales. Toutefois, les travaux de Quarantelli (1960, 2001) sur la question des comportements de panique et d'hysterie collective remettent en cause cette opinion largement repandue et montrent au contraire que les populations eprouvees par un desastre refusent de quitter leur domicile ou leur zone de residence meme si le desastre annonce est particulierement severe.

Par ailleurs, des recherches se sont penchees sur la question de la fluctuation de la criminalite suite a un desastre. Les travaux de Cromwell, Dunham, Akers et Lanza-Kaduce (1995) ont porte sur l'ouragan << Andrew >> qui s'est abattu en 1992 en Floride detruisant 65 000 residences, causant 30 milliards $ de dommage et privant d'electricite plus d'un million de residents. Ils adoptent comme perspective generale d'analyse la these selon laquelle toute variation du volume de criminalite resulte soit d'une variation du bassin de delinquants motives, soit d'une variation du repertoire de cibles vulnerables ou soit d'une variation du degre de surveillance (la these de base de Cohen et Felson 1979). Tout d'abord, leurs observations indiquent que durant la periode consecutive a une catastrophe naturelle, on assiste a une augmentation a la fois de delinquants motives et de victimes potentielles. Les auteurs mentionnent qu'il s'est produit une augmentation substantielle de cibles vulnerables basees sur le nombre de domiciles et d'etablissements commerciaux inoccupes et partiellement detruits ou endommages. Ils observent que la fermeture des banques ont force les residents de la zone affectee a realiser leurs transactions en argent liquide et donc de provoquer une augmentation de cibles attrayantes pour les vols sur la personne et les vols qualifies. Toutefois, Cromwell et coll. notent que la mobilisation du controle informel et des mesures d'autoprotection, ont augmente en fonction directe de la destruction subie et de l'affaiblissement des controles formels. Ainsi, les auteurs concluent que, malgre l'augmentation des occasions criminelles, les statistiques indiquent une baisse substantielle de la criminalite signalee durant les mois de septembre a novembre 1992, par rapport aux memes mois des deux annees precedentes.

Les travaux de Siman (1977) se sont interesses aux comportements criminels lors des inondations survenues a la suite de l'ouragan Agnes en 1972 dans la Vallee du Wyoming, Pennsylvanie. Elle s'interesse aux divers aspects lies aux comportements deviants notamment en ce qui concerne le pillage. Afin de verifier si une fluctuation des activites criminelles s'est manifestee a la suite de l'ouragan, l'auteur propose d'examiner les donnees criminelles provenant des << Uniform Crime Reports >> pour deux communautes de la Vallee du Wyoming, soit Wilkes-Barre (communaute experimentale) et Scranton (communaute controle). La comparaison des crimes debute six mois avant et six mois apres les inondations. Etant donne que les inondations sont survenues a l'ete 1972, Siman utilise les mois estivaux des annees 1971 et 1973 comme periodes controles supplementaires. En ce qui concerne la criminalite, elle se sert de tous les crimes rapportes a la police et des arrestations qui sont regroupes en cinq categories (1). Les donnees policieres de Wilkes-Barre indiquent une baisse marquee des arrestations et ce, six mois apres les inondations. Les seuls delits pour lesquels les arrestations augmentent concernent les conduites en etat d'ebriete et les infractions associees au desordre. Meme si Siman n'en tient pas compte, on peut cependant supposer que deux facteurs ont contribue a la baisse des arrestations : (1) Siman souligne que le tiers des effectifs policiers etait paralyse consequemment a l'impact (moins de policiers, et donc moins d'arrestations) ; (2) les forces policieres etaient reaffectees a des taches de secourisme et de recherche. Toutefois, la communaute de Scranton enregistre une hausse des arrestations et l'auteur suggere que cette augmentation est principalement attribuable a la migration des residents de la premiere communaute vers la seconde. Ainsi, les crimes connus de la police ont augmente, en particulier concernant les crimes contre la propriete. Toutefois, cette augmentation est interpretee comme une augmentation fallacieuse et Siman montre en effet qu'elle resulte de deux facteurs : l'insecurite des residents et les rumeurs de pillage qui auraient eu un effet d'entrainement sur les denonciations.

Finalement, Curvin et Porter (1979) se sont interesses aux evenements lies a l'interruption d'electricite a New York en 1977. S'appuyant sur des donnees policieres concernant les arrestations, sur des entrevues realisees avec des policiers de divers grades, des commercants, des delinquents apprehendes et des dirigeants politiques, ils montrent que l'objectif principal des pilleurs etaient de s'emparer des marchandises de grandes valeurs. Neanmoins, les auteurs soutiennent que le pillage de 1977 consecutif a la panne d'electricite presente un profil tres distinct des << emeutes raciales >> qui surgissaient a l'epoque. Aucune trace << d'agitateurs >> ideologiquement motives ou de delinquants juveniles en debut du pillage. La nature des cibles et les caracteristiques des biens voles eclairent egalement les motivations des delinquants. D'abord, les commerces les plus affectes par les pillages etaient ceux qui offraient des biens domestiques. Au total, pres de 1 600 commerces ont ete pilles et/ou incendies. Aucun quartier pauvre n'a vu ses commerces epargnes par les pilleurs contrairement aux emeutes des annees 1960. En fait, la panne d'electricite a ete percue comme une occasion delinquante ou des cibles attrayantes s'offraient a un bassin pre-existant de delinquants motives dans une situation d'impunite ou de vulnerabilite. Certes, l'accident technologique de New York n'etait pas directement responsible a lui seul de la degradation des valeurs et de la structure sociale qui a suivi la panne. Cependant, cela nous indique que les conditions sociales pre-existantes peuvent etre determinantes dans la maniere dont reagiront les groupes sociaux qui composent une collectivite lors d'une perturbation majeure et brusque de ses habitudes de vie.

Le sens commun nous rappelle qu'il existe des facteurs criminogenes tels que l'hysterie collective, la panique, le pillage et la criminalite organisee qui sont des comportements associes a l'impact d'un desastre. Ces comportements egoistes orientes vers la survie individuelle et l'appat du gain emergent-ils invariablement lors de desastres ? Les ecrits concernant les comportements delinquants lors de desastres indiquent que ces situations atypiques ont le potentiel d'engendrer chez les individus des comportements anti-sociaux orientes soit vers la survie, soit vers l'opportunisme (occasions criminelles). D'une part, les conditions aversives imposees par les contingences d'une catastrophe risquent de modifier le registre des reponses des individus qui y sont exposes et de se traduire par des comportements agressifs, hysteriques et de panique. D'autre part, les consequences de l'impact d'un sinistre peuvent modifier temporairement la vulnerabilite des cibles, le bassin de criminels potentiels (relocalisation des populations) et le nombre de gardiens (convergence des secours vers le point d'impact). Ainsi, nous proposons dans le cadre de la tempete du verglas survenue en janvier 1998 d'examiner si, et a quel point, la dynamique de ce desastre a favorise la cristallisation de comportements delinquants.

Contexte et cadre conceptuel

Au cours du mois de janvier 1998, de fortes precipitations de verglas ont provoque un accident technologique majeur au Quebec. L'importante accumulation de verglas a cause une rupture partielle du reseau electrique quebecois et les dommages ont ete suffisamment serieux pour que les pannes affectent plus de trois millions d'individus. Une partie de la societe quebecoise s'est retrouvee << paralysee >> pendant une periode variant entre une et quatre semaines. En fait, du 5 au 9 janvier, les regions de la Monteregie et de Montreal ont recu une quantite de verglas variant entre 40 et 110 mm. Le point critique a ete atteint les 9,10 et11 janvier 1998 alors que la moitie de la population quebecoise se trouvait privee d'electricite (pres de 1,5 million de menages). Le retablissement du reseau electrique n'a debute que la semaine suivante pour se terminer au debut du mois de fevrier. La panne d'electricite provoquee par cette tempete inhabituelle offre, de ce point de vue, un contexte de recherche fort interessant. Cette perturbation brusque des activites sociales combine deux caracteristiques particulieres. D'une part, contrairement a la panne d'electricite de New York, la panne d'electricite induite par la tempete du verglas au Quebec a eu des consequences relativement << desastreuses >> et a impose aux...

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