Le mineur sujet de droit et la justice penale : du > a l'alienation.

AuthorDufresne, Martin

Introduction

Jeune-A : And then when you get inside, the judge says innocent or guilty and you're like....

Animateur : Do you respond guilty or do you tell the judge that your lawyer has asked you to plead guilty?

Jeune-B : I tell the judge that my lawyer told me and I agreed.... They want to see if we choose the right answer.

La decentralisation de l'Etat au cours du dernier tiers du XXe siecle s'accompagne de nouvelles formes de subjectivation qui redefinissent les rapports entre l'individu et l'Etat. On dit du sujet du neo-liberalisme qu'il doit etre un entrepreneur de soi, un sujet choisissant et exercant un pouvoir, et par consequent responsable de ses choix, plutot que le sujet > ou > de l'Etat social (Crawford 1997; Rose 1996; Vaughan 2000). La justice des mineurs s'est longtemps concue hors de la theorie liberale des rapports entre l'individu et l'Etat. Sa juridicisation (1) recente, laquelle constitue le mineur en sujet de droit, nous invite a reflechir aux processus de subjectivation dans les transformations de la regulation penale.

En effet, au Canada, l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC (2)) en 1982 introduisait dans les rouages de la justice un mineur pourvu de droits et de garanties procedurales specifiques et dont on allait exiger une plus grande part de responsabilite pour ses gestes. Ce nouveau sujet juridique n'aura de cesse de soulever les passions et de susciter le debat. D'aucuns salueront ce changement de statut et y verront une liberation du carcan > qui encadrait la >. D'autres s'y opposeront farouchement sous pretexte que l'etendue des garanties juridiques consenties au mineur freinerait les efforts de repression du crime en semant des embuches injustifiees le long du parcours judiciaire.

Outre cette perspective centree sur la dimension technique du droit, cette nouvelle subjectivation doit etre situee dans la decentralisation politique orchestree dans la mouvance neo-liberale (Dufresne et Hastings 2003; Goldson 1999). Ainsi, pretendons-nous, qu'en etant constitue en sujet de droit le mineur n'est pas tant invite a constater sa > et ce statut n'est pas necessairement un obstacle a la repression du crime. Dans les deux cas, on ne tient compte ni du fonctionnement de l'appareil de justice, ni de l'experience qu'en ont les mineurs, enfin, ni des rationalites politiques et des strategies pour l'exercice de la justice penale. En fait, si le mineur justiciable est invite a se constituer en sujet autonome capable de decisions et qu'on doit entendre, dans son experience de la justice il se bute a un appareil bureaucratique qui n'a pas tant perdu de son >. Et cette justice, qui se montre prompte a le sommer d'etre comptable de sa conduite, le mineur l'eprouve sous la forme de l'alienation, alors qu'elle ne semble pas vouloir s'imposer a elle-meme de tels criteres de conduite.

Nous esperons contribuer a la reflexion sur la juridicisation de la justice des mineurs alors qu'elle traverse une periode de reforme soutenue depuis le dernier tiers du XXe siecle. Au moment ou les juridictions canadiennes s'affairent a ajuster les pratiques a la nouvelle Loi sur le systeme de justice penale pour les adolescents (LSJPA) qui entrait en vigueur au printemps 2003, il nous parait opportun de nous pencher sur la place du jeune en tant que sujet pour au moins trois raisons. Sur le plan du statut juridique, la nouvelle loi confirme le retrecissement de l'idee d'un >. Ensuite, elle sanctionne le recours a des mesures extrajudiciaires, une procedure administrative peu balisee par le droit. Troisiemement, elle affirme le principe de la responsabilisation par la peine plus nettement que la loi qui la precedait. A la lumiere de ces modifications recentes de la politique penale, nous souhaitons revenir sur le statut juridique du mineur en rapprochant une analyse des dimensions de sa personnalite juridique et les resultats de discussions de groupe realisees avec des jeunes qui ont une experience de la justice penale. Pour ce faire, nous avons separe notre propos en deux parties. Dans la premiere, nous etablissons les figures du mineur canadien sujet de droit telles qu'elles apparaissent dans le dernier tiers du XXe siecle a travers le discours et la critique de la politique penale et dans le texte de la loi. Ensuite, nous relevons les debats entourant ce statut juridique puis ses transformations. Cela nous permet de retracer l'emergence du sujet de droit en matiere penale puis le retrecissement progressif de la signification pratique de ce statut. La deuxieme partie consiste en une analyse phenomenologique de l'experience de la justice a partir de discussions de groupe.

Le mineur sujet de droit

De la dependance a la >

Lors du dernier tiers du XXe siecle, le mineur entre dans le droit liberal, ce dont on l'avait preserve depuis, la fin du XIXe siecle (Vaughan 2000). Alors que la politique de l'Etat social se met a etre fortement concurrencee par des discours de politiques neo-liberales, on assiste a une juridicisation de la justice des mineurs, soit une formalisation de la procedure et du meme coup, la reconstruction du mineur en sujet de droit. Dans la loi criminelle, le mineur gagne des droits en echange d'une responsabilite accrue pour ses actions. La loi structure davantage le processus judiciaire, mais laisse neanmoins de grandes marges de manoeuvre aux juridictions locales ainsi qu'aux divers acteurs quant a la maniere d'administrer la justice et quant aux objectifs a poursuivre en matiere d'intervention penale. En ce sens, il y a en quelque sorte un deplacement de responsabilite : une justice moins guidee par la doctrine du parens patriae, moins > diraient certains, des acteurs qui disposent de flexibilite dans leur intervention mais qui doivent suivre une procedure plus serree, enfin, et surtout, des mineurs qui eux seront tenus davantage comptables de leurs actions. Le mineur justiciable sujet de droit apparait dans ce realignement de la justice d'Etat vers une politique neo-liberale qui redefinit la responsabilite a partir de l'idee d'individu.

En effet, a partir de 1982 la justice penale rompt definitivement avec le mouvement Youth Court (cour des jeunes delinquants) de la fin du XIXe siecle. Depuis les annees 1960, au moins, des commentateurs et des juristes s'en prenaient a l'arbitraire decisionnel et aux peines disproportionnees qui, au nom d'une sollicitude toute paternaliste (parens patriae), caracterisaient cette justice tutelaire (Morin 1992). Le texte de loi presentait le delinquant comme un enfant victime de son milieu ou de sa famille, un etre dans une position de dependance vis-a-vis de son environnement qui avait davantage besoin de protection que de subir un chatiment. Pour certains critiques, il fallait tout repenser, car les pratiques qui s'etaient constituees dans et autour du tribunal faisaient fi d'un minimum de regles de procedure. Ce n'etait toutefois pas une erreur du legislateur du debut du siecle ni une etroitesse de l'esprit si la Loi sur les jeunes delinquants (LJD 1908) laissait une grande latitude au juge et autres intervenants. Au contraire, la cour des jeunes delinquants se donnait deliberement pour principe de ne pas suivre les regles de droit applicables aux 2adultes. Ce que l'on refusait en fait, c'etait de constituer la justice des mineurs dans la perspective liberale des rapports entre des droits individuels et l'Etat. Le tribunal ne devait pas etre le lieu d'un duel judiciaire dont l'enfant serait partie, cela irait a l'encontre de son >, disait-on (Rothman 1980).

Cette maniere d'apprehender la deviance des mineurs ne peut plus resister aux assauts de mouvements sociaux reclamant des droits civils pour certains groupes, des droits pour la femme et parallelement pour l'enfant. Elle a aussi du mal a tenir devant la critique de plus en plus forte de l'Etat social. Celui-ci nourrirait un etat de dependance chez certains individus, comme chez des mineurs delinquants.

Dans ce contexte, la reaction penale a la delinquance ne pourra plus prendre pour principe premier, ni pour justification de la procedure, le seul > de l'enfant concu comme etant dependant et victime. Ainsi, la declaration de principes de la LJC (1982) stipule que l'intervention de justice penale devra tenir compte des besoins de la jeune personne, comme c'etait deja le cas, mais aussi de ses droits, de sa responsabilite et de la protection de la societe.

On assiste donc a une mutation de la justice des mineurs qui s'accompagne d'une modification des representations. Si le mineur etait jusqu'alors concu comme un objet de sollicitude, de bienveillance, il serait maintenant aussi constitue comme un sujet responsable, independant et conscient de la portee de ses actes. Il s'inscrit alors dans un rapport de droits et responsabilites (Jones 1997). De ce point de vue, il devient comptable de ses gestes, comme leur auteur autonome et choisissant, et il devra en assumer la responsabilite par la peine. Cette representation du justiciable va alors cohabiter, tant en pratique que dans le texte meme de la loi, avec cette autre representation qui en faisait un etre dependant et victime de son environnement. C'est le cas lorsque la loi lui accorde des garanties juridiques et qu'elle precise les manieres de lui faire savoir et comprendre. Elle inscrit dans un rapport de droit, mais elle justifie la necessite de lui expliquer ses droits au mineur par son immaturite et sa vulnerabilite, ce qui rappelle un rapport de dependance (Pratt 1995). Le changement de regime juridique qu'introduisait la LJC (1982) et que reprend en partie la LSJPA (2002) permet donc une cohabitation de divers objectifs et de representations antagonistes, c'est la un gage de flexibilite qui autorise une diversite de pratiques (Maclure, Campbell et Dufresne 2003).

Somme toute, la juridicisation de la justice des mineurs au cours du dernier tiers du XXe siecle ne signifie pas necessairement une diminution du pouvoir...

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