Le renseignement: distinctions preliminaires.

AuthorBrodeur, Jean-Paul
PositionCanada

The variety of meanings of the word "intelligence" in the field of criminal and security intelligence is so great as to deprive these notions of much of their usefulness. This article tries to remedy this vagueness. Its main tenet is that intelligence should be defined not by its inner properties but through its relationships with different terms. The first part of the article provides several illustrations of the vagueness of the notion of intelligence by contrasting it with other notions that are akin to it, such as information, knowledge, science, proof, and surveillance. The second part tries to develop a theory of intelligence by relating it to various elements that define its nature: the producer of intelligence, its consumer, its contents and objects, the encoding process, contact between the members of an intelligence network, the target(s) of intelligence, and, finally, its sources and their validity. The article concludes with a brief discussion of efficiency and accountability in the field of intelligence.

Introduction

La litterature scientifique sur le renseignement est limitee. Outre l'ensemble respectable des travaux historiques qui ne proposent malheureusement pas de modele theorique, on y trouve des manuels pour futurs agents de renseignement ou des ouvrages rediges par des juristes ou des militants qui denoncent les exces des services de renseignement et des ouvrages anecdotiques. Il n'y a pas encore l'equivalent d'une sociologie de la police dans le domaine du renseignement. Or, la notion meme de renseignement est tres complexe, comme le demontreront les exemptes suivants.

  1. Dans les annees soixante, un employe du ministere de Postes Canada rut prive de sa pension parce qu'il etait soupconne d'espionnage. Une enquete, menee par le juge D.C. Wells (Wells 1966), trouva qu'on avait eu raison de sanctionner cet employe ; ce dernier fournissait apparemment des noms graves sur des pierres tombales aux Sovietiques, cette affirmation pouvant s'averer utile pour qui voudrait assumer une fausse identite. Cet exemple demontre que tout renseignement--des horaires de chemin de fer aux menus de restaurant en passant par les inscriptions sur les pierres tombales (pour ne mentionner que des informations triviales)--peut se reveler d'interet pour un service de renseignement (tout peut, par exemple, etre une composante de la fabrication d'une fausse identite).

  2. Une commission du Congres americain s'est penchee sur les questions afferentes au renseignement exterieur. La definition du renseignement proposee par cette commission revele le probleme que nous tentons de signaler, precisement parce qu'elle est si peu eclairante :

    Bien que << renseignement >> soit defini a, la fois dans la loi et dans un decret presidentiel, ni I'une ni I'autre ne permettent de bien comprendre le terme. La Commission croit qu'il serait preferable de definir << renseignement >> de facon simple et vaste comme toute information au sujet de << choses etrangeres >> [things foreign]--des personnes, des endroits, des objets et des evenements--necessaire au gouvernement dans I'exercice de ses fonctions (Unites States, Congress 1996 : Introduction, p. 4, traduction de l'auteur). Cet exemple qui est beaucoup plus recent que le precedent illustre la meme difficulte : toute information est potentiellement un renseignement. Cette citation nous offre cependant une voie de sortie de l'impasse, sur laquelle nous reviendrons.

  3. On pourrait vouloir resoudre la difficulte en definissant le renseignement non pas par son contenu mais par son destinataire (un Etat, comme dans le premier de nos exemples) ou, de facon plus habituelle, par son producteur, a savoir un service de renseignement lui-meme. Cette vole est peu prometteuse, comme le montrera un dernier exemple. Le 5 fevrier dernier, M. Colin Powell, l'ex-secretaire d'Etat des EtatsUnis, a cite avec eloge un document sur la duplicite de M. Saddam Hussein, qui avait ete rendu public le 3 fevrier precedent par le gouvernement du Royaume-Uni. Ce document avait en theorie ete elabore a partir des renseignements dont disposaient les services secrets britanniques. Or, le soir meme de l'intervention de M. Powell, le Channel Four, une chahne de television britannique, revelait que ce document etait en partie un plagiat. Il avait ete fabrique a partir de travaux academiques d'etudiants--en particulier, une dissertation post-doctorale presentee par un etudiant californien--et de deux articles publies en 1997 par la revue specialisee Jane's Intelligence Review. Les travaux des etudiants reposaient dans certains cas, sur des sources vieilles d'une douzaine d'annees. La preuve de plagiat a ete fournie de facon convaincante, car certains des passages du document officiel du gouvernement britannique reproduisaient les erreurs qui se trouvaient dans les textes originaux. Cet exemple montre que la source du renseignement ne marque pas celui-ci d'une empreinte distinctive. En realite, de la meme facon que M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, un etudiant postdoctoral americain a decouvert que lui aussi avait fait du renseignement pour le compte du Royaume-Uni sans le savoir.

    Ces trois exemples nous proposent comme conclusion generale, qu'au regard de son contenu, toute information constitue un renseignement ou peut le faire. Les travaux des etudiants de notre troisieme exemple, de meme que les articles du periodique pille, ne possedaient pas initialement la qualification de << renseignement >> mais l'ont acquise de facon artificielle en etant utilise par les services britanniques de renseignement dans la confection d'un document emanant du gouvernement britannique.

    Si tout est renseignement ou peut le devenir, comment parvenir a marquer la specificite de cet objet ? Le passage que nous avons cite plus haut sur une definition du renseignement proposee par une commission americaine, est le premier pas vers une solution a cette difficulte. Dans sa premiere pattie, la definition illustre de maniere exemplaire la difficulte dont nous raisons etat: tout ce qui concerne les <> peut etre qualifie de renseignement sur une puissance exterieure, a la condition, ajoute toutefois la definition, d'etre necessaire au gouvernement dans l'exercice de ses fonctions. Par contre, c'est moins dans la precision tres contestable qu'elle apporte que dans le procede dont elle constitue l'amorce que cette definition peut nous aider a sortir de l'impasse (comme Max Weber l'a souligne avec raison, tout peut apparaitre necessaire, d'une facon ou d'une autre, a l'exercice des fonctions du gouvernement, car celles-ci constituent un ensemble indefiniment ouvert). Donc, nous formulerons a cet egard notre hypothese de depart comme suit : le renseignement n'est pas un objet qui tient sa specificite de ses caracteres intrinseques mais plutot de ses proprietes relationnelles. Pour le dire d'une autre facon, le renseignement n'acquiert son statut qu'en etant mis en rapport avec des termes qui lui sont exterieurs (a titre indicatif, on peut mentionner le producteur du renseignement, son destinataire, ses sources, ses cibles et ainsi de suite).

    Dans la suite de ce texte, nous nous livrerons A un premier balisage de ces termes exterieurs au renseignement lui-meme, qui lui conferent cependant autant son statut que sa specificite. Nous tenterons de developper au regard de chacun de ces termes, des distinctions qui nous apparaissent fondamentales, tout en montrant au besoin comment elles se recoupent. Precisons au depart que ce texte porte sur le renseignement criminel et le renseignement de securite dans sa seule variante interieure. Les problemes de l'espionnage sont particuliers et doivent faire l'objet d'un traitement independant. Ce texte portant sur la notion de renseignement, nous n'aborderons pas les problemes relies au respect des droits de la personne et a l'obligation de rendre des comptes. Non seulement avons-nous abondamment traite de ces problemes ailleurs (Brodeur, Gill et Tollborg 2003), mais nous estimons qu'il existe presentement un tel desequilibre dans la recherche academique sur le renseignement au profit des etudes sur l'obligation de moyen, qu'on en vient a se demander s'il existe vraiment une place pour des travaux portant sur l'obligation de resultat dans le champ du renseignement.

    Un modele pour la communication

    L'une des premieres consequences de notre hypothese ou perspective de depart, est que le renseignement participe beaucoup moins de la nature d'une information, si l'on entend par ce terme un contenu semantique considere en lui-meme, que de celle d'un message ou encore d'une communication, c'est-a-dire d'une information qui se realise au sein d'un processus dynamique d'echange.

    L'un des modeles de la communication les plus cites est celui qui a ete developpe par le grand linguiste, Roman Jakobson (1963).

    Comme l'indique ces schemas, une communication implique plusieurs composantes, a laquelle Jakobson fait correspondre des fonctions determinees. Nous passerons rapidement en revue ces diverses composantes et les fonctions qui leur correspondent. Nous verrons en meme temps a quel point le schema de Jakobson est heuristique pour traiter du renseignement. Voici donc les diverses composantes d'une communication, avec leur fonction respective.

    [FIGURA 1 OMITIR]

    L'emetteur et la fonction expressive

    Une communication comporte d'abord un emetteur, ou encore un auteur ou un agent. L'emetteur s'exprime dans son message, en meme temps qu'il communique en se referant a un objet ou un etat de fait. Idealement, l'emetteur d'un renseignement devrait exprimer son opinion personnelle le moins possible et laisser parler le renseignement qu'il a a communiquer. Dans la pratique, il est difficile, sinon impossible, d'eviter qu'un message ne comporte une part d'expression de son auteur. On doit souligner que dans le monde du renseignement, on peut assister a un dedoublement de l'emetteur, lorsque, par exemple, un agent...

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