Obstacles a la surveillance du systeme penal en pays andins: l'exemple bolivien.

AuthorLanglois, Denis

Introduction: un tournant recent

Au cours des dernieres decennies, la plupart des pays andins ont connu la fin de dictatures brutales et le passage a des regimes parlementaires dotes de nouvelles constitutions et de lois plus conformes au droit international en matiere de respect des droits humains. Cela n'a pas ete sans affecter favorablement le cadre juridique, et en partie la realite, du traitement des personnes incarcerees.

Le regime parlementaire est instaure en Bolivie en 1982 et l'adoption d'une nouvelle Constitution se fait en 1994. Avec ses 8,8 millions d'habitants, la Bolivie est le pays le plus pauvre d'Amerique du Sud, son produit interieur brut (PIB) n'etant que de 2460 $ par habitant. La Bolivie compte une majorite de personnes et peuples d'origine autochtone (62%). Elle est le seul pays des Ameriques, avec le Guatemala, ou la population d'origine est encore majoritaire.

En Colombie, la Constitution politique date de 1991. Le PIB par habitant (44,2 millions) est de 63705 et le pays est en proie a une guerre fratricide depuis une trentaine d'annees, ce qui a disloque la societe et l'Etat, sans compter les consequences serieuses sur les institutions de cette fragile democratie.

La Constitution equatorienne est reformee en 1998, issue d'un processus d'Assemblee Constituante destine a renforcer la representation des secteurs populaires et notamment autochtones, ces derniers composant pres de 40 % de la population totale (13,0 millions). Le PIB par habitant dans ce pays est de 3 580 $.

Le Perou compte pour sa part 27,1 millions d'habitants, qui disposent en moyenne de 50105 par annee (PIB). La nouvelle Constitution peruvienne a ete adoptee en 1993, alors que la population etait encore aux prises avec le dictateur Fujimori.

Dans tous ces pays, l'indice de developpement humain du Programme des Nations Unies pour le Developpement (PNUD) est nettement plus bas qu'au Nord, bien que generalement superieur aux pays africains : 113e rang pour la Bolivie (0,687), 82e pour l'Equateur (0,759), 79e pour le Perou (0,762) et 69e pour la Colombie (0,785). A titre comparatif, le PIB par habitant au Canada est d'environ 2 9480 $ et notre pays est au 5e rang (0,949) en termes d'indice de developpement humain (ACDI 2005; Cordellier et Didiot 2005; PNUD 2005).

Un cadre constitutionnel et legislatif conforme au droit international

Le processus d'adoption de nouvelles constitutions dans les pays andins a favorise la mise en conformite des legislations nationales au droit international, et en particulier pour ce qui nous interesse, au droit international des droits de la personne.

Toutes les constitutions nationales reconnaissent la separation des pouvoirs executif, legislatif et judiciaire, les droits civils fondamentaux des personnes et notamment leurs garanties judiciaires: droit a un recours effectif, droit a un proces equitable et detentions regulees par les normes internationales. Les droits politiques, economiques, sociaux et culturels des personnes sont egalement enchasses dans ces constitutions. Etant donne, enfin, l'importance des populations d'origine autochtone dans la region andine, des droits de nature collective leur sont specifiquement reconnus par les Constitutions de Bolivie, d'equateur et du Perou: personnalite juridique des communautes autochtones, droit a la propriete collective sur leurs terres d'appartenance, droit a une education dans leur langue d'origine et reconnaissance du droit coutumier pour resoudre leurs conflits.

De plus, un processus de ratification des principaux instruments de protection des droits humains eut cours dans les dernieres decennies.

Le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international sur les droits economiques, sociaux et culturels (PIDESC) furent ratifies par la Colombie et l'Equateur en 1969, par le Perou en 1978 et par la Bolivie en 1982. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou degradants fut ratifiee en 1987 par la Colombie, en 1988 par l'equateur et le Perou, et en 1999 par la Bolivie. Les instruments regionaux de protection des droits humains, comme la Convention americaine sur les droits de l'homme (CADH) et la Convention interamericaine pour prevenir, sanctionner et eradiquer la violence contre les femmes (dite Convention de Belem) ont egalement ete ratifies par tous ces pays. Par contre la Convention interamericaine sur la disparition forcee de personnes n'a ete jusqu'ici ratifiee que par la Bolivie, alors que la Convention interamericaine pour prevenir et sanctionner la torture ne l'a ete que par la Colombie et l'Equateur.

Ces quatre pays andins ont ratifie le Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, permettant ainsi a tout ressortissant de ces pays de recourir au Comite des droits de l'homme de I'ONU en cas de violation de ses droits reconnus, apres epuisement des recours judiciaires internes. De meme, ils ont reconnu la competence de la Commission interamericaine des droits de l'homme (CIDH) a recevoir des communications individuelles dans les memes situations (voir le site Web de la Comision andina de juristas [CAJ]).

Au plan des recours dont disposent les citoyens et citoyennes des pays andins, il est a noter que la Constitution de ces pays reconnait non seulement le droit a un recours judiciaire effectif, mais egalement celui au Protecteur du citoyen (Defensor del Pueblo), lequel a generalement toute competence pour enqueter, proposer des correctifs et formuler des recomrnandations a l'administration publique, y compris aux administrations penitentiaires de ces divers pays.

Les pouvoirs specifiques octroyes au Defensor del Pueblo en matiere de protection des droits des personnes detenues ont ete consignes dans les lois constitutives de cet organisme public. Elles l'habilitent a visiter les centres penitentiaires et a verifier l'etat de situation des personnes detenues, a exiger des documents, a proposer les correctifs qui s'imposent et a intervenir de maniere systemique aupres de la direction nationale des systemes penitentiaires ou du ministre responsable de l'administration de ces centres. Le Defensor del Pueblo peut aussi, au nom d'une personne ou de son propre chef, recourir aux instances judiciaires en matiere d'habeas corpus, de dispositions ou d'actes inconstitutionnels, d'incompetence decisionnelle de la part de l'administration ou encore de protection de droits reconnus constitutionnellement (amparo).

Le mandat du Defensor del Pueblo dans tous les pays andins, comme du reste dans l'ensemble de l'Amerique latine, recouvre non seulement la surveillance de l'administration publique en tant que telle, mais egalement la defense, la promotion et la protection des droits reconnus constitutionnellement et par les differents traites ratifies par les pays.

Des textes a la realite

Dans l'ensemble, les pays andins se sont donc dotes d'un cadre devant assurer le respect de la dignite et des droits des personnes incarcerees, conformement au droit international en vigueur. La realite, toutefois, est moins attrayante dans les prisons que sur papier. Nous en decrirons certains aspects dans cette partie.

Etablissements vetustes et services de base inadequats

Il n'est pas rare d'entrer dans une prison, en equateur, en respirant l'odeur d'un systeme d'egouts a ciel ouvert. La deficience des systemes de canalisation se conjugue parfois a l'absence d'intimite des installations sanitaires, off des personnes detenues doivent << satisfaire leurs besoins naturels >> dans des corridors ou dans des coins de cour exterieure. La vetuste des amenagements recouvre aussi les deficiences au plan du cubage d'air, de la surface minimum d'eclairage, du chauffage ou de la ventilation. Les cachots d'isolement dans une piece cimentee de un metre par deux metres, sans fenetre et sans meme pouvoir se tenir debout ne disposent pour leur part d'aucune installation sanitaire, ni d'eau courante; cette derniere est d'ailleurs un luxe dans plusieurs prisons, les personnes incarcerees devant se laver a meme un baril d'eau (FIDH 2000: 9).

Au chapitre du droit a l'alimentation, les normes fixees par les etats ne correspondent generalement pas aux besoins en proteines et vitamines necessaires a une alimentation equilibree. En principe, l'Etat verse a chaque detenu, comme c'est le cas en Bolivie, un montant fixe pour s'alimenter, qu'il remet a son tour a la cuisine de la prison. Mais ces sommes sont souvent les premieres a disparaitre pour toutes sortes de raisons, parmi lesquelles la corruption operee par des gardiens mal remuneres. Les personnes detenues plus fortunees arrivent a combler leurs besoins alimentaires, alors que les plus pauvres doivent compter sur leurs familles ou sur la generosite des autres. Le rapport de la Commission interamericaine des droits de l'homme suite a une visite des centres penitentiaires de Colombie confirme cet etat de situation (CIDH, 1999: 14), ajoutant qu'elle contrevient clairement aux normes internationales, a la legislation interne, et a l'Ensemble de regles minima pour le traitement des detenus, a son article 20 (ONU 1955).

Au plan des soins medicaux, on rencontre le meme genre d'insuffisances. Par exemple, en Equateur la Direccion Nacional de Rehabilitacion Social (DNRS) affirme officiellement qu'il y a 47 psychologues, 44 travailleurs sociaux, 52 medecins et 26 dentistes qui ceuvrent dans le domaine penitentiaire (DNRS 1999). Pourtant 1a off les detenus sont les plus susceptibles de subir des actes de violence de la part des gardiens et des policiers, soit au Centro de Detencion Provisonal de Quito, il n'y a aucune attention speciale qui leur est accordee. En effet, avant qu'une organisation non-gouvernementale ne mette sur pied un bureau de consultation, les detenus, afin d'6tre soignes, devaient s'en remettre au bon vouloir des gardiens pour les escorter jusqu'au service medical de la prison voisine, et encore quand ce dernier acceptait de les recevoir...

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